pourquoi pas...

Il y a peu, j'ai perdu une amie de ma vie d'avant. Celle de quand j'étais pas dans le confort, la sécurité, le plein emploi, l'amour, la tendresse, le ventre plein, les amis.

Celle de quand j'étais dans la peur, le froid, la haine, la colère, le "personne ne m'aime".

j'ai perdu une amie et je me retourne sur ma vie.

Nous étions trois filles réunies par la similitude d'histoires chaotiques. Trois filles issues de la minorité, trois filles issues de l'immigration, mais je préfère considérer que nous étions trois filles issues du rapprochement des peuples.

Trois amies de galère. Nous avons vu trop tôt la face sombre de l'humanité. Sous les parures les plus onéreuses, sous les attitudes les plus sophistiquées, l'être humain n'est qu'un animal comme les autres.

Mais le petit d'homme nait prématuré. Je veux dire qu'il nait immature à satisfaire ses besoins. Il est donc dépendant pendant longtemps. Les premiers qui pourraient lui tendre les mains et lui ouvrir les bras sont ses parents.

Nous étions trois filles dont les parents fracassés par la vie n'ont pas pu tenir leurs rôles.

Les miens se sont mariés le seize décembre mille neuf cent cinquante. Lui était Algérien, elle était française. En pleine guerre d'Algérie, ils se sont dit oui. Etait ce de l'inconscience ou un amour plus fort que tout.

Ils avaient deux enfants, deux fils.

Ils ont planté le coup de pioche qui a tracé le sillon dans lequel a germé mon histoire dix ans plus tard.

j'ai pensé publier mon histoire mais la vision d'un livre de plus prenant la poussière sur une étagère m'a déplu. Je veux la garder vivante jusqu'au bout.

Je préfère l'idée que quelques personnes se glissent subrepticement sur ces pages à un moment perdu et se laisse distraire par l'histoire d'une fille.

Ce n'est pas une histoire banale, c'est pour cela que je la raconte.